Carthage

CARTHAGE – 2017. Citations latines et technique mixte sur bois
source texte : Renzo Tosi, Dictionnaire des sentences latines et grecques, Edition Jérôme Millon – 2010

 

Omnia vincit amor
l’amour vainc tout
  Cette expression célèbre est empruntée à la conclusion des Bucoliques de Virgile : toutes les tentatives pour consoler Cornelius Gallus de son amour malheureux pour Licoris se sont révélées infructueuses, car aucun obstacle ne résiste à la puissance de l’amour. Ce vers reprend un motif déjà topique dans la littérature grecque archaïque et classique (Sapho, Platon, Sophocle avec Antigone qui rappelle l’invincibilité de l’amour). Cette sentence fur rapidement considérée comme une maxime à part entière ; de là, ses nombreuses citations à travers les siècles. D’autres motifs se sont apparenté aux nôtres, l’amour tyrannique, l’invincibilité appliquée à l’amour spirituel avec les auteurs chrétiens. A l’époque médiévale Walther ajoutait que l’argent l’emportait toujours sur l’amour sed nummus vincit amorem. Notre littérature moderne a trés souvent eu recours à ce topos. Toutes les langues modernes européennes ont conservé un équivalent de l’adage latin : l’amour triomphe de tout en français, love makes his kingdom without a sword en anglais, et en allemand Lust und Liebezum Dinge macht alle Arbeit geringe. Mais l’expression virgilienne continuer d’être citée de nos jours par des personnalités de monde de la culture, de la politique ou de la chrétienté.
Res in cardine est
les choses étant à leur point culminant
  Cette expression proverbiale, qui dérive – comme le relève Erasme – de la fonction même des gonds jouit d’une certaine fortune et indique qu’une situation est arrivée à un point crucial et déterminant. La formule est attestée explicitement par Servius dans son commentaire sur l’oeuvre de Virgile (cf. Enéide ; Haut tanto cessabit cardine rerum, «elle ne restera pas inactive en un moment aussi décisif») ainsi que par Isidore de Séville, mais on la retrouve également chez d’autres auteurs latins (tels Sénèque, De beneficiis ; Stace, Thébaide ; Lactance, De mortibus persecutorum). Plus que l’expression elle-même, c’est surtout l’image du gond – cardo désignant «le pivot», la «clé de voûte» d’une chose – qui revient fréquemment sous la plume des auteurs. Cardo peut ainsi désigner le moment charnière d’une controverse (Quintilien, Léon 1er), le summum de la mauvaise volonté (saint Augustin), le tournant d’un procès, la clé de voûte du souverain bien (Boèce, Consolation de la philosophie) ; le cardine rerum virgilien est lui aussi repris par les poètes (Sedulius, Prosper d’Aquitaine, Thomas a Kempis). L’usage méthaphorique des gonds revient souvent en français : cf. les expressions Etre hors de ses gonds ; Sortir de ses gonds ; Se tenir sur ses gonds ; et on parle encore de moment clef ou de moment charnière.

Cuius vulturis hoc erit cadaver ?
A quel vautour est destiné ce cadavre ?
  Cette expression, qui désigne actuellement un individu qui va connaître une triste fin, est empruntée à Martial : le poète évoquait le sort d’un pauvre hère, qui, après avoir perdu son fils unique, devenait le «cadavre», c’est à dire la proie, de «sinistres vautours», c’est à dire de chasseurs d’héritage. Dans le vers de Martial, à l’origine vultur caractérisait un être avide, impie et mesquin, comme c’était souvent le cas chez Plaute ou chez d’autres auteurs, tels Cicéron, Catulle et Ovide. Mais parfois le vautour était plus précisément le symbole de ces ignobles chasseurs d’héritage, comme chez Catulle ou chez Sénèque (Vultur est, cadaver exspecta, «c’est un vautour, il attend un cadavre»), ou chez plusieurs auteurs médiévaux. Erasme écrit : Si vultur es, cadaver exspecta !, formule que l’on retrouve dans plusieurs textes de l’époque moderne. C’est sous cette acception si particulière, née de l’observation des naturistes qui rapportaient que certains animaux avaient l’habitude de rester au-dessus de l’endroit où gisait un cadavre (cf. Pline l’Ancien Naturalis historia) que les parémiographes (Diogen, Apost.) expliquaient le sens de l’expression grecque «tels des vautours» ( Panyasis, Bernabé). En italien, comme en français le vautour peut désigner une personne avide, rapace et cruelle ; certains de nos proverbes européens, calqués sur la sentence médiévale Vultur erit semper ubi cernitur cadaver, «là où se trouve le vautour, il y a toujours un cadavre» (Walther), prennent la même signification que le vers de Martial. Quant aux reprises littéraires, citons le Der Opfer liegt – Die Raben steigen nieder de Schiller (Guillaume Tell).

Sunt lacrimae rerum
Les larmes coulent au spectacle du monde
  C’est par ces mots qu’Enée au premier livre de l’épopée virgilienne comment son émoi face aux scènes illustrant la guerre de Troie sur les murs de temple de Carthage. Rerum est un génitif objectif, mais cette phrase est souvent citée comme s’il s’agissait d’un génitif subjectif, avec une valeur plus générale et existentielle (c’est à dire «les larmes provoquées par les mésaventures humaines» ou «les mésaventures humaines qui comportent leur part de larmes») : cette interprétation est sans doute erronée même si la seconde partie du vers semble la confirmer (mentem mortalia tangunt, «les destins des mortels touchent le coeur»). Mais la fascination provoquée par cette formule réside surtout dans cette ambiguïté, et c’est sans doute une des raisons de la fortune qui fut la sienne (elle apparaît dans les Carmina Burana, mais également en exergue des Night Thoughts d’Edward Young, et, à une époque plus proche de la nôtre, elle sert de titre à l’une des poésies des Voix Intérieures de Victor Hugo ainsi qu’à une pièce pour piano de Liszt). L’écrivain suisse Conrad Ferdinand Meyer fît une exégèse complète et détaillée de notre expression qu’il interprète en disant que «les choses humaines sont imbibées de larmes».

Plurima mortis imago
Sous mille formes l’image de la mort

L’expression provient d’un célèbre passage de l’Enéide de Virgile décrivant la destruction de Troie : Crudelis ubique / luctus, ubique pavor et plurima mortis imago, « Partout cruelle détresse, partout l’épouvante et sous mille formes l’image de la mort». Les commentateurs, antiques et modernes, se sont interrogés sur la valeur à donner à plurima : faut-il comprendre «la mort aux multiples visages» ou «la multiplicité des images macabres» ? Peut-être faut-il laisser justement à cette expression sa multiplicité de sens, d’autant que le texte lui-même, utilisant les termes ubique et imago, incite le lecteur à envisager ses deux significations. Les auteurs antiques ou médiévaux, nombreux à citer l’expression, ne l’emploie pas dans sa première acception, mais pour insister sur la cruauté, la violence et la brutalité de la mort (Lactance, saint Jérôme, Hugues de Fleury, Pétrarque…).

 

Quod hodie non est cras erit
Si ce n’est pas pour aujourd’hui ce sera pour demain
  Cet adage, répertorié parmi les sentences médiévales, provient d’un passage de Pétrone ; on lit une formule similaire chez Tibulle et un précedent grec chez Théocrite, «ce sera peut-être mieux demain» ; le même concept est exprimé par un devin qui répond à César chez Plutarque. Citons quelques variations sur ce thème : Quod nostrum est hodie cras erit alterius, «ce qui est à nous aujourd’hui appartiendra à un autre demain» (Théodulf d’Orléans) et Qui hodie est malus cras erit optimus, «le pire aujourd’hui sera le meilleur demain» (Pierre le Chantre en fait un corollaire du précepte qui conseille de ne jamais juger autrui). La formule Cras erit salus cum incaluerit sol, «Demain vous aurez du secours, quand le soleil sera dans sa chaleur», extrait du premier livre de Samuel fut souvent reprise par les auteurs chrétiens et les auteurs médiévaux. Erasme dans des Adagia préfère quant à lui la formule : Hodie nullus, cras maximus, «Aujourd’hui un moins que rien, demain au sommet» qui reprenait un vers Aristophane répertorié par les parémiographes. Notre motif est également présent dans nos traditions proverbiales européennes : cf. en français «demain est un autre jour», en italien Quel che non avvien oggi, puo avvenir domani, «il vient toujours un jour qui n’est pas encore venu». Un autre motif parallèle conseille de ne pas s’inquiéter de ce qui peut arriver demain.

Sol omnibus lucet
Le soleil brille pour tous
  Pétrone utilise cette expression pour indiquer que la nature a partagé avec les hommes ce qu’elle a de plsu beau : la célébrité de cette formule (déjà diffuse au Moyen-Âge, cf. Walther) fut sans doute facilitée par le parallèle évangélique «il fait lever son soleil sur les bons et les méchants» (Matthieu), que la version de la Vulgate traduit par qui solem suum oriri facit super bonos et malos, et que les auteurs chrétiens reprennent fréquemment (Orose, saint Augustin, Prosper d’Aquitaine). On lit aussi chez saint Ambroise Omnes in Christo unum sumus. Sol omnibus fulget, dies omnibus lucet, «Nous sommes un en le Christ. Le soleil et le jours resplendissent sur chacun de nous». Avit de Vienne note que «seul le soleil est au service de tous les hommes», sol omnibus unus servit. Ovide affirme que la nature offre à tous ses bienfaits (cf.Méthamorphoses) et Sénèque conseillait de se montrer généreux avec les ingrats, comme le font les dieux, car le soleil se lève aussi pour les méchants (Optimorum vivorum segetem grando percussit, «la grêle frappe aussi les champs des hommes les meilleurs»). Ce concept est également fréquent dans la littérature judaïque et il revient au Moyen-Âge sous la plume d’Alcuin. Nos langues modernes ne manquent pas d’expressions similaires – en français le soleil brille pour tout le monde, en italien Il sole è di tutti (Lacerda-Abreu, Mota)-, y compris sur le plan littéraire (Erasme, Voltaire avec l’Histoire de Jenni consacré à la dispute sur l’athéisme, Tolstoï dans les Pensées…). Finissons avec l’expression française pleine d’ironie : Le soleil brille pour tous mais bien des gens sont à l’ombre.

Vulnerant ommnes ultima necat
Toutes blessent, la dernière tue.
  Proverbe populaire de référence inconnue, fortement récurrent depuis le Moyen-Âge et son apparition écrite dur de nombreux cadrans solaires avec parfois la variation omniae horae vulnerant, ultima necat, «toutes les heures blessent, la dernière tue».