par Claire Lasolle
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Si l’on pouvait condenser en une phrase la démarche artistique de Dav, Nicolas Bourriaud, nous prêterait ses mots : « L’artiste contemporain est un sémionaute, il invente des trajectoires entre des signes ».
Notre environnement contemporain est parfaitement balisé et saturé de signes (mots et images) qui ont trop souvent le défaut du vide. Le sens manque. Le signe trace des routes droites et des bonnes conduites. Des clichés. Nous voyons des choses et non du sens. Dav prend au mot l’idée que le signe est ce qui est à la place de quelque chose d’autre. Il joue le jeu de la traduction d’une société comme un ensemble de symptômes : il emprunte (citations, images, mots), inventorie les récurrences (le Musée de l’immigration devient un cimetière d’ustensiles faisant référence tout autant au vécu qu’au cliché, le mot musée venant achever la clôture du sens et par là sa mort), détourne, fait affleurer non sans tendresse et humour, parfois noir, les petites vertus et leur cache-misère, les hypocrisies, les absurdités et la mauvaise conscience qui va de pair. Il dénonce. Par un travail de bricolage visuel et sémantique qui a trait tout autant au remue-ménage qu’au remue-méninges, Dav s’attache à entamer une nouvelle conversation avec le monde, de plain-pied et droit dans ses bottes dans l’acte de création à fonction démonstrative et critique, dans l’esprit irrévérencieux des dadaïstes, des Situs, d’Harakiri ou encore, pourquoi pas, Jean-Michel Alberola, la sacralité de l’œuvre en moins. Cette réorganisation des signes comme mode opératoire lui permet d’interroger nos trajectoires sémantiques et visuelles quotidiennes et d’ébranler notre mémoire vive.
L’acte de création de Dav se porte moins sur la matérialisation de l’œuvre que sur une démarche : la singulière capacité à extraire de cet inconscient collectif les tendances médiocres et les poncifs, les préjugés et les dénis. Matériaux pauvres, rebuts, récupération d’objets feront l’affaire : navigant entre abstraction et figuration, dessin de presse et illustration, faisant fi de la technique non sans chercher l’efficacité de la forme, Dav a choisi une pratique que lui autorise un quotidien. Il suffit de faire avec peu mais il est nécessaire de faire. Si on le place volontiers dans la catégorie « artiste engagé », pourquoi, à l’image de son esprit futé, ne pas prendre le contrepied et user du terme « dégagé », comme un ciel bleu ? Dégager : débarrasser de la contrainte ; libérer quelque chose ou quelqu’un d’une situation. Ne s’est-il pas longtemps questionné sur son statut d’artiste, sur la forme à trouver ? Il y répond avec humilité : l’art reste de l’ordre de la conquête du sens et doit concerner chacun. L’art peut ça : se faire à la portée du commun. Lapsus, trou de mémoire, inversion, dyslexie… tout ce qui tord le cou à une réalité figée crée de nouveaux rapport de sens. L’art peut encore ça : être un terrain de jeu et de liberté d’où surgissent de nouvelles relations au monde.
Nul besoin des espaces d’affichage de libre expression. L’art peut être aussi de proximité et se partager. Vous verrez Dav proposer des cartons et des pinceaux, coller des affiches dans et hors des manifestations. Il appelle à ce que l’art prenne corps dans le collectif, s’offre aux passants comme une arme de réappropriation. Il cherche l’occasion de se déplacer pour que s’affole un sens neuf. L’art est un objet transitionnel entre lui et le corps social. L’art est ainsi chez Dav un chant de bataille dont le refrain pourrait reprendre ces mots de Jean-Yves Jouannais : « Combien d’intelligences sont-elles demeurées libres, simplement attachées à nourrir et embellir une vie, sans fréquenter jamais le projet de l’asservissement à une stratégie de reconnaissance, de publicité et de production. »
mai 2016